190. En rentrant de l'Opéra, j'avais ajouté pour le lendemain à celles que depuis quelques jours je souhaitais de retrouver, l'image de Mme de Guermantes, grande, avec sa coiffure haute de cheveux blonds et légers, avec la tendresse promise dans le sourire qu'elle m'avait adressé de la baignoire de sa cousine. Je suivrais le chemin que Françoise m'avait dit que prenait la duchesse et je tâcherais pourtant, pour retrouver deux jeunes filles que j'avais vues l'avant-veille, de ne pas manquer la sortie d'un cours et d'un catéchisme. Mais, en attendant, de temps à autre, le scintillant sourire de Mme de Guermantes, la sensation de douceur qu'il m'avait donnée, me revenaient. Et sans trop savoir ce que je faisais, je m'essayais à les placer (comme une femme regarde l'effet que ferait sur une robe une certaine sorte de boutons de pierreries qu'on vient de lui donner) à côté des idées romanesques que je possédais depuis longtemps et que la froideur d'Albertine, le départ prématuré de Gisèle et, avant cela, la séparation voulue et trop prolongée d'avec Gilberte avaient libérées (l'idée par exemple d'être aimé d'une femme, d'avoir une vie en commun avec elle) ; puis c'était l'image de l'une ou l'autre des deux jeunes filles que j'approchais de ces idées auxquelles, aussitôt après, je tâchais d'adapter le souvenir de la duchesse. Auprès de ces idées, le souvenir de Mme de Guermantes à l'Opéra était bien peu de chose, une petite étoile à côté de la longue queue de sa comète flamboyante ; de plus je connaissais très bien ces idées longtemps avant de connaître Mme de Guermantes ; le souvenir, lui, au contraire, je le possédais imparfaitement ; il m'échappait par moments ; ce fut pendant les heures où, de flottant en moi au même titre que les images d'autres femmes jolies, il passa peu à peu à une association unique et définitive – exclusive de toute autre image féminine – avec mes idées romanesques si antérieures à lui, ce fut pendant ces quelques heures où je me le rappelais le mieux que j'aurais dû m'aviser de savoir exactement quel il était ; mais, je ne savais pas alors l'importance qu'il allait prendre pour moi ; il était doux seulement comme un premier rendez-vous de Mme de Guermantes en moi-même, il était la première esquisse, la seule vraie, la seule faite d'après la vie, la seule qui fût réellement Mme de Guermantes ; durant les quelques heures où j'eus le bonheur de le détenir sans savoir faire attention à lui, il devait être bien charmant pourtant, ce souvenir, puisque c'est toujours à lui, librement encore, à ce moment-là, sans hâte sans fatigue, sans rien de nécessaire ni d'anxieux, que mes idées d'amour revenaient ; ensuite, au fur et à mesure que ces idées le fixèrent plus définitivement, il acquit d'elles une plus grande force, mais devint lui-même plus vague ; bientôt je ne sus plus le retrouver ; et dans mes rêveries, je le déformais sans doute complètement, car, chaque fois que je voyais Mme de Guermantes, je constatais un écart, d'ailleurs toujours différent, entre ce que j'avais imaginé et ce que je voyais. Chaque jour maintenant, certes, au moment que Mme de Guermantes débouchait au haut de la rue, j'apercevais encore sa taille haute, ce visage au regard clair sous une chevelure légère, toutes choses pour lesquelles j'étais là ; mais en revanche, quelques secondes plus tard, quand, ayant détourné les yeux dans une autre direction pour avoir l'air de ne pas m'attendre à cette rencontre que j'étais venu chercher, je les levais sur la duchesse au moment où j'arrivais au même niveau de la rue qu'elle, ce que je voyais alors, c'étaient des marques rouges, dont je ne savais si elles étaient dues au grand air ou à la couperose, sur un visage maussade qui, par un signe fort sec et bien éloigné de l'amabilité du soir de Phèdre, répondait à ce salut que je lui adressais quotidiennement avec un air de surprise et qui ne semblait pas lui plaire. Pourtant, au bout de quelques jours pendant lesquels le souvenir des deux jeunes filles lutta avec des chances inégales pour la domination de mes idées amoureuses avec celui de Mme de Guermantes, ce fut celui-ci, comme de lui-même, qui finit par renaître le plus souvent pendant que ses concurrents s'éliminaient ; ce fut sur lui que je finis par avoir, en somme volontairement encore et comme par choix et plaisir, transféré toutes mes pensées d'amour. Je ne songeai plus aux fillettes du catéchisme, ni à une certaine laitière ; et pourtant je n'espérais plus de retrouver dans la rue ce que j'étais venu y chercher, ni la tendresse promise au théâtre dans un sourire, ni la silhouette et le visage clair sous la chevelure blonde qui n'étaient tels que de loin. Maintenant je n'aurais même, pu dire comment était Mme de Guermantes, à quoi je la reconnaissais, car chaque jour, dans l'ensemble de sa personne, la figure était autre comme la robe et le chapeau.
Albertine 190. idées romanesques que la froideur d'Albertine, le départ prématuré de Gisèle, la séparation d'avec Gilberte avaient libérées
(Extrait de la série Albertine dans A la recherche du temps perdu. Les numéros indiquent la position du fragment au sein des 487 sections de notre édition en ligne.)
- Albertine 117. la fameuse “Albertine”. Elle sera sûrement très “fast”, mais en attendant elle a une drôle de touche
- Albertine 133. ma nièce Albertine est comme moi | elle est effrontée cette petite | cette petite masque, elle est rusée comme un singe
- Albertine 137 - 140. les Bontemps avec leur nièce Albertine, petite jeune fille presque encore enfant | je ne savais pas alors l'influence que cette famille devait avoir sur ma vie
- Albertine 162 - 163. Une de ces inconnues poussait devant elle, de la main, sa bicyclette | ses regards obliques et rieurs
- Albertine 163 - 164. la petite Simonet | le nom de Simonet | Simonet et famille | Mlle Simonet
- Albertine 165 - 166. Mlle Simonet et ses amies | la de moins en moins existante Mlle Simonet
- Albertine 167 - 168. celle aux clubs de golf, présumée être Mlle Simonet. C'est ainsi, faisant halte, les yeux brillants sous son « polo » que je la revois encore maintenant. C'est elle !
- Albertine 169 - 173. Elstir me dit qu'elle s'appelait Albertine Simonet | Que connaissais-je d'Albertine ? | la série indéfinie d'Albertines imaginées qui se succédaient en moi
- Albertine 173 - 174. le simple plaisir de faire la connaissance d'Albertine | une causerie avec Albertine
- Albertine 174 - 175. une jeune fille portant un toquet et un manchon | il n'existait pas de personne plus désirable
- Albertine 175. tous les plaisirs que je lui demanderais | Devenu différent par le fait de sa présence même
- Albertine 175 - 176. Albertine élevant au bout d'un cordonnet un attribut bizarre qui la faisait ressembler à l'« Idolâtrie » de Giotto ; un « diabolo »
- Albertine 176 - 177. Bientôt je passai toutes mes journées avec ces jeunes filles
- Albertine 178 - 180. j'avais lu ces mots qu'elle m'avait écrits : « Je vous aime bien. » | c'était avec elle que j'aurais mon roman
- Albertine 180. je ne cherchai guère à voir Albertine. L'amour commence, on voudrait rester l'inconnu qu'elle peut aimer
- Albertine 180 - 182. Oui, me dit-elle, je passe cette nuit-là à votre hôtel | J'allais savoir l'odeur, le goût, qu'avait ce fruit rose inconnu
- Albertine 182. Si Albertine me semblait maintenant vide, Andrée était remplie de quelque chose que je connaissais trop
- Albertine 182 - 183. chacune de ces Albertine était différente | l'habitude de devenir moi-même un personnage autre | Albertine s'en alla la première, brusquement
- Albertine 190. idées romanesques que la froideur d'Albertine, le départ prématuré de Gisèle, la séparation d'avec Gilberte avaient libérées
- Albertine 231. Andrée plaignait trop Albertine pour l'aimer beaucoup
- Albertine 236 - 239. Albertine, contenant dans la plénitude de son corps les jours passés dans ce Balbec | en train d'embrasser la joue d'Albertine
- Albertine 240 - 241. Françoise m'annonça Albertine | je demandai à Albertine de m'accompagner jusqu'à l'île du bois de Boulogne | Saint-Cloud
- Albertine 244. Ils déplaisaient aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine)
- Albertine 273. j'avais convenu avec Albertine (je lui avais donné une loge pour Phèdre) qu'elle viendrait me voir un peu avant minuit
- Albertine 280 - 284. Albertine devait venir chez moi aussitôt après le théâtre | Elle ne viendra plus. Ah ! nos gigolettes d'aujourd'hui !
- Albertine 284 - 285. bruit de toupie du téléphone. Je m'élançai, c'était Albertine | Pour Albertine, je sentais que je n'apprendrais jamais rien
- Albertine 288 - 290. petit mot d'Albertine | maintenant, mademoiselle Albertine, c'est quelqu'un | j'avais désiré de réentendre le rire d'Albertine
- Albertine 291 - 292. Albertine recommençait cependant à m'inspirer comme un désir de bonheur
- Albertine 292 - 295. casino d'Incarville. Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l'une contre l'autre. Au comble de la jouissance | J'avais mal compris le caractère d'Albertine
- Albertine 296 - 297. Albertine me dit : Qu'est-ce que vous avez contre moi ? | J'aurais dû partir ce soir-là sans jamais la revoir
- Albertine 297 - 299. Nous allions goûter comme autrefois « en bande », Albertine, ses amies et moi | deux amants tout seuls | préoccupations du côté de Gomorrhe
- Albertine 300 - 304. Albertine et moi, devant la station Balbec du petit train d'intérêt local | jaloux de l'attitude d'Albertine à l'égard de Robert, j'étais rassuré quant aux femmes
- Albertine 309. conversation avec ma mère | un mariage entre Albertine et toi serait le rêve de sa tante | Albertine, je ne la trouve pas
- Albertine 314 - 315. une jeune cousine que je ne peux pas laisser seule (cette prétendue parenté simplifiait les choses pour sortir avec Albertine)
- Albertine 316 - 322. Tous les jours, je sortais avec Albertine | je commandai, pour mon malheur, une automobile | comme une chienne encore qu'elle commençait à me caresser sans fin
- Albertine 322 - 330. La Raspelière où je viens dîner pour la première fois avec mon amie | enchaîné à ce besoin quotidien de voir Albertine
- Albertine 331 - 332. ma « cousine » avait un drôle de genre | Albertine dans le train avec Saint-Loup | Le mariage avec Albertine m'apparaissait comme une folie
- Albertine 333 - 335. Je n'attendais qu'une occasion pour la rupture définitive | chambre de Montjouvain où elle tombait dans les bras de Mlle Vinteuil | il faut absolument que j'épouse Albertine
- Albertine 336 - 337. Albertine habitait alors avec moi | Je n'aimais plus Albertine, car il ne me restait plus rien de la souffrance, guérie maintenant
- Albertine 338 - 339. en quittant Balbec, j'avais cru quitter Gomorrhe, en arracher Albertine ; Gomorrhe était dispersée aux quatre coins du monde
- Albertine 340 - 342. jolies choses de toilette | Les brimborions de la parure causaient à Albertine de grands plaisirs
- Albertine 343 - 344. petit incident dont la cruelle signification m'échappa | Andrée | l'odeur de seringa | une autre Albertine | jalousie
- Albertine 344 - 345. Albertine encagée | images successives | je la regardais dormir | plusieurs Albertine en une seule | embarqué sur le sommeil d'Albertine
- Albertine 346 - 351. la voir s'éveiller | plaisir même qu'elle habitât chez moi | habitudes de vie en commun | permanence d'un danger | jalousie | ces êtres de fuite
- Albertine 352 - 353. signal joyeux de son éveil | nourritures criées dans la rue | paroles menteuses | prolongement extérieur de la séquestration
- Albertine 354. A Versailles. Albertine avait été seule | explications du chauffeur, en innocentant Albertine me la rendaient encore plus ennuyeuse
- Albertine 355. ma mère était ennuyée de voir que le séjour d'Albertine à la maison se prolongeait, et s'affermir mes intentions de mariage
- Albertine 355 - 357. Mlle Léa, la comédienne amie des deux jeunes filles
- Albertine 357 - 358. sonate de Vinteuil | La musique bien différente en cela de la société d'Albertine, m'aidait à descendre en moi-même, à y découvrir du nouveau
- Albertine 358 - 360. Familial et domestique : sentiment que j'éprouvai en me promenant avec elle | Passy, Bois de Boulogne, Seine, Saint-Cloud | jeunes midinettes éparses
- Albertine 360 - 363. elle semblait s'y trouver en prison | pensée de mon esclavage | Albertine sentait cruellement le sien | Gisèle | elle ne mentait pas de la même manière qu'Albertine | le mensonge | Janus
- Albertine 363 - 365. votre cousine | elle est bien jolie | elle sait se vêtir ou plus exactement s'habiller | Charlus au sujet d'Albertine | un peu lourde beauté | elle peut faire un riche mariage
- Albertine 366 - 367. deux personnes d'une terrible réputation : les deux demoiselles Vinteuil | cause enfin découverte de l'envie d'Albertine de venir tantôt | ce petit organe que nous appelons coeur
- Albertine 370 - 371. dans mon coeur était le double d'Albertine | tout s'entrecroise | tendre phrase familiale et domestique du septuor, inspirée à Vinteuil par le sommeil de sa fille | Albertine mêlée à quelque chose de si grand
- Albertine 372 - 373. Mlle Vinteuil | c'était grâce à elle qu'avait pu venir jusqu'à moi l'étrange appel – comme la promesse qu'il existait autre chose, réalisable par l'art, que le néant
- Albertine 374 - 380. renseignements relatifs à la venue de Mlle Vinteuil et de son amie | une bande terrible | faire croire à Albertine que j'avais moi-même l'intention de la quitter
- Albertine 380. Du trottoir je voyais la fenêtre de la chambre d'Albertine | le lumineux grillage qui allait se refermer sur moi
- Albertine 381 - 384. la jalousie | que vous me laissiez une fois libre pour que j'aille me faire casser… le pot | Les gomorrhéennes | Si cette comédie de séparation allait aboutir à une séparation !
- Albertine 385 - 386. lettre de ma mère | pourquoi troubler cette fille qu'il n'épousera jamais ? | ce que j'ai lu dans les yeux d'Albertine | robes de Fortuny
- Albertine 386 - 387. je lui demandais de me faire un peu de musique | pianola | musique de Vinteuil | littérature | une même beauté qu'ils apportent au monde
- Albertine 388 - 389. je touchais seulement l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini | une grande déesse du Temps | prisonnière | caractère d'Albertine
- Albertine 389 - 390. ma vie avec Albertine n'était, quand je n'étais pas jaloux, qu'ennui, quand j'étais jaloux, que souffrance | la quitter | la colère un soir | honte de ma violence | réparer cela
- Albertine 390 - 391. promenades | Versailles | docilité absolue | nostalgie de ma liberté perdue | la pâtissière | la quitter | Mlle Albertine m'a demandé ses malles | à neuf heures elle est partie
- Albertine 392 - 393. Mademoiselle Albertine est partie | la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie | la faire revenir
- Albertine 393 - 394. La souffrance | la chaise d'Albertine, le pianola | C'était cet inconnu qui faisait le fond de mon amour | L'esprit dans lequel Albertine était partie
- Albertine 394 - 398. Albertine serait de retour à la maison le soir même | Saint-Loup mandé par moi | télégramme d'Albertine | Adieu pour toujours
- Albertine 398 - 400. Le temps passe, et peu à peu tout ce qu'on disait par mensonge devient vrai | bagues | lettre d'Albertine | accident | la suppression de la souffrance
- Albertine 400. La suppression de la souffrance ? | télégramme désespéré lui demandant de revenir | Le monde n'est pas créé une fois pour toutes | notre petite Albertine n'est plus | Serait-il trop tard pour que je revienne chez vous ?
- Albertine 401 - 404. la mort d'Albertine | c'est d'innombrables Albertine que j'aurais dû oublier | le souvenir d'Albertine lié à toutes les saisons | le paysage moral
- Albertine 405 - 408. Ma séparation d'avec Albertine | Mes curiosités jalouses de ce qu'avait pu faire Albertine étaient infinies
- Albertine 409 - 412. ce retrait en moi des différents souvenirs d'Albertine | reprises de mon amour pour Albertine morte | mon amour finissant
- Albertine 413. traverser en sens inverse tous les sentiments par lesquels j'avais passé avant d'arriver à mon grand amour | sans Albertine
- Albertine 417. cette oeuvre de l'oubli à l'égard d'Albertine | Je n'aimais plus Albertine | Je souffrais d'un amour qui n'existait plus. Ainsi les amputés | vivre sans Albertine
- Albertine 417 - 420. conversation qu'Andrée eut avec moi | l'Albertine réelle | petites pêcheuses, petites blanchisseuses | culpabilité, innocence d'Albertine | le jeune homme sportif
- Albertine 420 - 421. Combien peu je saurais jamais de cette histoire d'Albertine | J'écrivis à Andrée de revenir | “je suis dans les choux”, ce jeune homme qui aimait Albertine | Albertine avait trouvé un beau parti bourgeois | le secret de sa vie
- Albertine 421 - 426. j'avais en grande partie oublié Albertine | l'Albertine d'autrefois était pourtant enfermée au fond de moi | J'aurais été incapable de ressusciter Albertine parce que je l'étais de me ressusciter moi-même
- Albertine 430 - 433. la vraie Gilberte, la vraie Albertine, c'étaient peut-être celles qui s'étaient au premier instant livrées dans leur regard | n'ayant pas su le comprendre, je les avais « ratées »
- Albertine 434 - 456. je parlai à Gilberte d'Albertine et lui demandai si celle-ci aimait les femmes | poutana | mort de Robert de Saint-Loup
- Albertine 457 - 467. rendre aux moindres signes qui m'entouraient (Guermantes, Albertine, Gilberte, Saint-Loup, Balbec, etc.) leur sens que l'habitude leur avait fait perdre pour moi
- Albertine 476 - 484. je souhaitais de nouveau, ce dont j'avais rêvé à Balbec, quand sans les connaître encore, j'avais vu passer devant la mer Albertine, Andrée et leurs amies | les futures Albertine
- Albertine 485 - 487. Profonde Albertine que je voyais dormir et qui était morte