Proust 334 - Je prenais mieux conscience de mes propres transformations en les confrontant à l'identité des choses

334. Je restai seul dans la chambre, cette même chambre trop haute de plafond où j'avais été si malheureux à la première arrivée, où j'avais pensé avec tant de tendresse à Mlle de Stermaria, guetté le passage d'Albertine et de ses amies comme d'oiseaux migrateurs arrêtés sur la plage, où je l'avais possédée avec tant d'indifférence quand je l'avais fait chercher par le lift, où j'avais connu la bonté de ma grand-mère, puis appris qu'elle était morte ; ces volets au pied desquels tombait la lumière du matin, je les avais ouverts la première fois pour apercevoir les premiers contreforts de la mer (ces volets qu'Albertine me faisait fermer pour qu'on ne nous vît pas nous embrasser). Je prenais mieux conscience de mes propres transformations en les confrontant à l'identité des choses. On s'habitue pourtant à elles comme aux personnes et quand, tout d'un coup, on se rappelle la signification différente qu'elles comportèrent, puis quand elles eurent perdu toute signification, les événements bien différents de ceux d'aujourd'hui qu'elles encadrèrent, la diversité des actes joués sous le même plafond, entre les mêmes bibliothèques vitrées, le changement dans le coeur et dans la vie que cette diversité implique, semble encore accru par la permanence immuable du décor, renforcé par l'unité du lieu.

(Morceau choisi de l'Anthologie Marcel Proust. Chaque extrait d'A la recherche du temps perdu est précédé d'un numéro de section, de 001 à 487, indication de sa position au sein des 487 sections du texte intégral et lien pour retrouver le texte dans la continuité du roman. L'Anthologie Proust est également disponible dans l'ordre du roman.)