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Il entendit frapper à la porte, on apportait les cartes qu'il avait demandées. Il savait bien qu'on viendrait chercher de ses nouvelles, car il n'ignorait pas que son accident était grave, mais tout de même, il n'avait pas cru qu'il y aurait tant de cartes, et il fut effrayé de voir que tant de gens étaient venus, qui le connaissaient si peu et ne se seraient dérangés que pour son mariage ou son enterrement. C'était un monceau de cartes et le concierge le portait avec précaution pour qu'il ne tombât pas du grand plateau, d'où elles débordaient. Mais tout d'un coup, quand il les eut toutes près de lui, ces cartes, le monceau lui apparut une toute petite chose, ridiculement petite vraiment, bien plus petite que la chaise, ou la cheminée. Et il fut plus effrayé encore que ce fût si peu, et se sentit si seul, que pour se distraire il se mit nerveusement à lire les noms ; une carte, deux cartes, trois cartes, ah ! il tressaillit et de nouveau regarda : “Comte François de Couvres”. Il devait bien pourtant s'attendre à ce que M. de Buivres vînt prendre de ses nouvelles, mais il y avait longtemps qu'il n'avait pensé à lui, et tout de suite la phrase de Buivres : “Il y avait ce soir quelqu'un qui a dû rudement se la payer, c'est François de Gouvres ; - il dit qu'elle a un tempérament ! mais il parait qu'elle est affreusement faite, et il n'a pas voulu continuer”, lui revint, et sentant toute la souffrance ancienne qui du fond de sa conscience remontait en un instant à la surface, il se dit : “Maintenant je me réjouis si je suis perdu. Ne pas mourir, rester cloué là, et, pendant des années, tout le temps qu'elle ne sera pas auprès de moi, une partie du jour, toute la nuit. la voir chez un autre ! Et maintenant. ce ne serait plus par maladie que je la verrais ainsi, ce serait sûr. Comment pourrait-elle m'aimer encore ? un amputé !” Tout d'un coup il s'arrêta. "Et si je meurs, après moi ?”
Elle avait trente ans, il franchit d'un saut le temps plus ou moins long où elle se souviendrait, lui serait fidèle. Mais il viendrait un moment... “Il dit “qu'elle a un tempérament...” Je veux vivre, je veux vivre et je veux marcher, je veux la suivre partout, je veux être beau, je veux qu'elle m'aime !”
Marcel Proust
La fin de la jalousie (extrait)
Les Plaisirs et les Jours
Autres extraits :
La fin de la jalousie | Et c'était là la fin de sa jalousie