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Violante s’ennuya de plus eu plus, elle n’était plus jamais gaie. Alors, l’immoralité du monde, qui jusque-là l’avait laissée indifférente, eut prise sur elle et la blessa cruellement, comme la dureté des saisons terrasse les corps que la maladie rend incapables de lutter. Un jour qu’elle se promenait seule dans une avenue presque déserte, d’une voiture qu’elle n’avait pas aperçue tout d’abord une femme descendit qui alla droit à elle. Elle l’aborda, et lui ayant demandé si elle était bien Violante de Bohême, elle lui raconta qu’elle avait été l’amie de sa mère et avait eu le désir de revoir la petite Violante qu’elle avait tenue sur ses genoux. Elle l’embrassa avec émotion, lui prit la taille et se mit à l’embrasser si souvent que Violante, sans lui dire adieu, se sauva à toutes jambes. Le lendemain soir, Violante se rendit à une fête donnée en l’honneur de la princesse de Misène, qu’elle ne connaissait pas. Elle reconnut dans la princesse la dame abominable de la veille. Et une douairière, que jusque-là Violante ; avait estimée, lui dit :
– Voulez-vous que je vous présente à la princesse de Misène ?
– Non ! dit Violante.
– Ne soyez pas timide, dit la douairière. Je suis sûre que, vous lui plairez. Elle aime beaucoup les jolies femmes.
Violante eut à partir de ce jour deux mortelles ennemies, la princesse de Misène et la douairière, qui la représentèrent partout comme un monstre d’orgueil et de perversité. Violante l’apprit, pleura sur elle-même et sur la méchanceté des femmes. Elle avait depuis longtemps pris son parti de celle des hommes.
Marcel Proust
Violante ou la Mondanité (extrait)
nouvelle en quatre chapitres (Enfance méditative de Violante – Sensualité – Peines d'amour – La Mondanité)
Les Plaisirs et les Jours