Nietzsche : Ceci distingue l'artiste de l'individu réceptif à l'art : ce dernier atteint dans la réception son plus haut point d'excitabilité ; le premier, dans le don | Proust : Aussi combien s'en tiennent là qui n'extraient rien de leur impression

Contrairement au narrateur et à Proust, le personnage de Swann représente le célibataire de l'art. Il lui manque la nécessité intérieure de transformer ses impressions en expression. 

Nietzsche :

"Ceci distingue l'artiste du profane (de l'individu réceptif à l'art) : ce dernier atteint dans la réception son plus haut point d'excitabilité ; le premier, dans le don —"

"Ce sont les états d'exception qui déterminent un artiste ; (...) de telle sorte qu'il ne semble pas possible d'être artiste sans être malade. (...) C'est un état explosif. Il faut se représenter cet état d'abord comme une contrainte et un besoin d'éliminer (...) l'exubérance de la tension interne". Fragments posthumes, Printemps 1888, 14[170]

(Texte original allemand : "Dies unterscheidet den Künstler vom Laien (dem künstlerisch-Empfänglichen): letzterer hat im Aufnehmen seinen Höhepunkt von Reizbarkeit; ersterer im Geben —".
"Es sind die Ausnahme-Zustände, die den Künstler bedingen: (...) so daß es nicht möglich scheint, Künstler zu sein und nicht krank zu sein. (...) ein explosiver Zustand — man muß sich diesen Zustand zuerst als Zwang und Drang denken, (...) die Exuberanz der inneren Spannung loszuwerden".  eKGWB/NF-1888,14[170] — Nachgelassene Fragmente Frühjahr 1888)

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Proust :

le célibataire de l'art

462. le petit sillon que la vue d'une aubépine ou d'une église a creusé en nous, nous trouvons trop difficile de tâcher de l'apercevoir. Mais nous rejouons la symphonie, nous retournons voir l'église jusqu'à ce que – dans cette fuite loin de notre propre vie que nous n'avons pas le courage de regarder et qui s'appelle l'érudition – nous les connaissions aussi bien, de la même manière, que le plus savant amateur de musique ou d'archéologie.

Aussi combien s'en tiennent là qui n'extraient rien de leur impression, vieillissent inutiles et insatisfaits, comme des célibataires de l'art ! Ils ont les chagrins qu'ont les vierges et les paresseux, et que la fécondité ou le travail guérirait. Ils sont plus exaltés à propos des oeuvres d'art que les véritables artistes, car leur exaltation n'étant pas pour eux l'objet d'un dur labeur d'approfondissement, elle se répand au dehors, échauffe leurs conversations, empourpre leur visage. Ils croient accomplir un acte en hurlant à se casser la voix : « Bravo, bravo » après l'exécution d'une oeuvre qu'ils aiment. Mais ces manifestations ne les forcent pas à éclaircir la nature de leur amour, ils ne la connaissent pas. Cependant celui-ci, inutilisé, reflue même sur leurs conversations les plus calmes, leur fait faire de grands gestes, des grimaces, des hochements de tête quand ils parlent d'art. « J'ai été à un concert. Je vous avouerai que ça ne m'emballait pas. On commence le quatuor. Ah ! mais, nom d'une pipe ! ça change » (la figure de l'amateur à ce moment-là exprime une inquiétude anxieuse comme s'il pensait : « Mais je vois des étincelles, ça sent le roussi, il y a le feu »). « Tonnerre de Dieu, ce que j'entends là c'est exaspérant, c'est mal écrit, mais c'est épastrouillant, ce n'est pas l'oeuvre de tout le monde. » Ce regard est précédé d'une intonation anxieuse aussi, de ports de tête, de nouvelles gesticulations, tout le ridicule des moignons de l'oison qui n'a pas résolu le problème des ailes et cependant est travaillé du désir de planer. De concerts en concerts passe sa vie ce stérile amateur, aigri et inassouvi quand il grisonne, sans vieillesse féconde, en quelque sorte le célibataire de l'art. Mais cette gent fort haïssable, qui pue son mérite et n'a point reçu sa part de contentement, est touchante parce qu'elle est le premier essai informe du besoin de passer de l'objet variable du plaisir intellectuel à son organe permanent.

Encore, si risibles soient-ils, ne sont-ils pas tout à fait à dédaigner. Ils sont les premiers essais de la nature qui veut créer l'artiste, aussi informes, aussi peu viables que ces premiers animaux qui précédèrent les espèces actuelles et qui n'étaient pas constitués pour durer. Ces amateurs velléitaires et stériles doivent nous toucher comme ces premiers appareils qui ne purent quitter la terre mais où résidait, non encore le moyen secret et qui restait à découvrir, mais le désir du vol. « Et, mon vieux, ajoute l'amateur en vous prenant par le bras, moi c'est la huitième fois que je l'entends, et je vous jure bien que ce n'est pas la dernière. » Et en effet, comme ils n'assimilent pas ce qui dans l'art est vraiment nourricier, ils ont tout le temps besoin de joies artistiques, en proie à une boulimie qui ne les rassasie jamais. Ils vont donc applaudir longtemps de suite la même oeuvre, croyant de plus que leur présence réalise un devoir, un acte, comme d'autres personnes la leur à une séance de conseil d'administration, à un enterrement.

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Chez Flaubert, Madame Bovary représente le tempérament non artiste : "— étant de tempérament plus sentimentale qu’artiste, cherchant des émotions et non des paysages."

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Charlotte Cardin : Confetti

Dans le tempérament artiste véritable, l'impression doit être convertie en expression. Introversion du caractère et excitabilité sociale forcent à un besoin de se recentrer, puis d'exprimer et d'éliminer la tension interne, sous forme d'oeuvre.

Charlotte Cardin : "Confetti est un hymne aux introvertis. J’ai réalisé que chaque fois que je me retrouvais en soirée, il y avait un moment où j’avais besoin d’aller me ressaisir dans les toilettes pour arriver à me recentrer. Quand je m’en suis rendu compte, je me suis dit "je dois écrire une chanson à ce sujet"."

 

Charlotte Cardin : Confetti

Instagram : Charlotte Cardin

Find me in the club looking golden
I know everyone, I got no friends

...

And I never know what to say
‘Til I'm already walking away
Wanna punch you in the face
But I won't
But I might, but I won't
And I don't wanna play
I wanna throw it all away

CONFETTI

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-> Nietzsche, Proust, Chardin, Elstir, Vinteuil, Valéry : Ce qu’il faut apprendre des artistes / Chardin entre comme la lumière / Je serai de ceux qui rendent belles les choses

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