435. Ce qui est curieux et ce sur quoi je ne peux m'étendre, c'est à quel point, vers cette époque-là, toutes les personnes qu'aimait Albertine, toutes celles qui auraient pu lui faire faire ce qu'elles auraient voulu, demandèrent, implorèrent, j'oserai dire mendièrent, à défaut de mon amitié, quelques relations avec moi. Il n'y aurait plus eu besoin d'offrir de l'argent à Mme Bontemps pour qu'elle me renvoyât Albertine. Ce retour de la vie se produisant quand il ne servait plus à rien, m'attristait profondément, non à cause d'Albertine, que j'eusse reçue sans plaisir si elle m'eût été ramenée non plus de Touraine, mais de l'autre monde, mais à cause d'une jeune femme que j'aimais et que je ne pouvais arriver à voir. Je me disais que si elle mourait, ou si je ne l'aimais plus, tous ceux qui eussent pu me rapprocher d'elle tomberaient à mes yeux. En attendant j'essayais en vain d'agir sur eux, n'étant pas guéri par l'expérience qui aurait dû m'apprendre – si elle apprenait jamais rien – qu'aimer est un mauvais sort comme ceux qu'il y a dans les contes, contre quoi on ne peut rien jusqu'à ce que l'enchantement ait cessé.
Proust 435 - aimer est un mauvais sort comme ceux qu'il y a dans les contes, contre quoi on ne peut rien jusqu'à ce que l'enchantement ait cessé
(Morceau choisi de l'Anthologie Marcel Proust. Chaque extrait d'A la recherche du temps perdu est précédé d'un numéro de section, de 001 à 487, indication de sa position au sein des 487 sections du texte intégral et lien pour retrouver le texte dans la continuité du roman. L'Anthologie Proust est également disponible dans l'ordre du roman.)