Proust 411 - le souvenir n'est pas inventif, il est impuissant à désirer rien d'autre, même rien de mieux que ce que nous avons possédé

411. Et j'éprouvais une fois de plus d'abord que le souvenir n'est pas inventif, qu'il est impuissant à désirer rien d'autre, même rien de mieux que ce que nous avons possédé ; ensuite qu'il est spirituel, de sorte que la réalité ne peut lui fournir l'état qu'il recherche ; enfin que, dérivant d'une personne morte, la renaissance qu'il incarne est moins celle du besoin d'aimer, auquel il fait croire, que celle du besoin de l'absente. De sorte que même la ressemblance de la femme que j'avais choisie avec Albertine, la ressemblance, si j'arrivais à l'obtenir, de sa tendresse avec celle d'Albertine, ne me faisaient que mieux sentir l'absence de ce que j'avais sans le savoir cherché et qui était indispensable pour que renaquît mon bonheur, ce que j'avais cherché c'est-à-dire Albertine elle-même, le temps que nous avions vécu ensemble, le passé à la recherche duquel j'étais sans le savoir.

Cf Jean-Luc Godard : "S'il y a un cinéaste qui aurait pu "réaliser" Proust à l'écran, c'est Hitchcock. Mais il n'a pas eu besoin de le faire, parce que c'est cela qu'il faisait."

Photos : James Stewart / Kim Novak, Vertigo (Sueurs froides), Alfred Hitchcock

(Morceau choisi de l'Anthologie Marcel Proust. Chaque extrait d'A la recherche du temps perdu est précédé d'un numéro de section, de 001 à 487, indication de sa position au sein des 487 sections du texte intégral et lien pour retrouver le texte dans la continuité du roman. L'Anthologie Proust est également disponible dans l'ordre du roman.)