Olivier PY : Tristan me fait penser à la Recherche du temps perdu : ce sont des oeuvres qui nous donnent une vie en plus

Olivier PY : "Tristan me fait penser à la Recherche du temps perdu : ce sont des oeuvres qui nous donnent une vie en plus. Tristan est proprement l'oeuvre inlassable, qui se suffit à elle-même, qui forme une totalité. Et ça c'est extraordinaire. Wagner ne nous donne pas un cours de philosophie, mais il nous permet d'entrer dans un état philosophique où l'on est "intelligent" dans le plein sens du terme. Le roi Marke découvre que tout est théâtre. Cela me fait penser à cette phrase de Schopenhauer : "Quand on est jeune, la vie est comme un décor de théâtre vu de loin, et quand on est vieux, c'est le même décor vu de près". Marke comprend qu'on ne peut jamais atteindre aux finalités, qu'on ne peut rien savoir. Le roi Marke demande : "Pourquoi ?" Et Tristan lui répond (c'est le passage musical que je préfère) : "O roi, ce que tu demandes, je ne peux pas te le dire." Voilà la nuit dont parlent Tristan et Isolde : c'est de ne pas pouvoir atteindre la finalité des fins et la causalité des causes, de ne rien savoir. Cet état de nuit dans lequel nous sommes, il faudra bien que nous l'aimions. Cet amour de la nuit dans Tristan et Isolde, c'est l'amour de notre nuit à nous, êtres humains. Cette joie suprême qui est le dernier mot de l'oeuvre : Höchste Lust."

OLIVIER PY, Tristan et Isolde à l'aube du XXIe siècle

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Marcel Proust et Tristan :

357.  je ne pus m'empêcher de murmurer : « Tristan ! » avec le sourire qu'a l'ami d'une famille retrouvant quelque chose de l'aïeul dans une intonation, un geste du petit-fils qui ne l'a pas connu. Et comme on regarde alors une photographie qui permet de préciser la ressemblance, par-dessus la sonate de Vinteuil, j'installai sur le pupitre la partition de Tristan, dont on donnait justement cet après-midi-là des fragments au Concert Lamoureux. Je n'avais à admirer le maître de Bayreuth aucun des scrupules de ceux à qui, comme à Nietzsche, le devoir dicte de fuir dans l'art comme dans la vie la beauté qui les tente, qui s'arrachent à Tristan comme ils renient Parsifal et, par ascétisme spirituel, de mortification en mortification parviennent, en suivant le plus sanglant des chemins de croix, à s'élever jusqu'à la pure connaissance et à l'adoration parfaite du Postillon de Longjumeau. Je me rendais compte de tout ce qu'a de réel l'oeuvre de Wagner, en revoyant ces thèmes insistants et fugaces qui visitent un acte, ne s'éloignent que pour revenir, et parfois lointains, assoupis, presque détachés, sont à d'autres moments, tout en restant vagues, si pressants et si proches, si internes, si organiques, si viscéraux qu'on dirait la reprise moins d'un motif que d'une névralgie.