169. « On m'avait conseillé », lui dis-je en pensant à la conversation que nous avions eue avec Legrandin à Combray et sur laquelle j'étais content d'avoir son avis, « de ne pas aller en Bretagne, parce que c'était malsain pour un esprit déjà porté au rêve. – Mais non, me répondit-il, quand un esprit est porté au rêve, il ne faut pas l'en tenir écarté, le lui rationner. Tant que vous détournerez votre esprit de ses rêves, il ne les connaîtra pas ; vous serez le jouet de mille apparences parce que vous n'en aurez pas compris la nature. Si un peu de rêve est dangereux, ce qui en guérit, ce n'est pas moins de rêve, mais plus de rêve, mais tout le rêve. Il importe qu'on connaisse entièrement ses rêves pour n'en plus souffrir ; il y a une certaine séparation du rêve et de la vie qu'il est si souvent utile de faire que je me demande si on ne devrait pas à tout hasard la pratiquer préventivement comme certains chirurgiens prétendent qu'il faudrait, pour éviter la possibilité d'une appendicite future, enlever l'appendice chez tous les enfants. »
Proust 169 - Si un peu de rêve est dangereux, ce qui en guérit, ce n'est pas moins de rêve, mais plus de rêve, mais tout le rêve
(Morceau choisi de l'Anthologie Marcel Proust. Chaque extrait d'A la recherche du temps perdu est précédé d'un numéro de section, de 001 à 487, indication de sa position au sein des 487 sections du texte intégral et lien pour retrouver le texte dans la continuité du roman. L'Anthologie Proust est également disponible dans l'ordre du roman.)