406. Pourtant cette impression de ce qu'il y avait de solennellement définitif dans ma séparation d'avec Albertine, si elle s'était substituée un moment à l'idée de ces fautes, ne faisait qu'aggraver celles-ci en leur conférant un caractère irrémédiable. Je me voyais perdu dans la vie comme sur une plage illimitée où j'étais seul et où, dans quelque sens que j'allasse, je ne la rencontrerais jamais. Heureusement je trouvai fort à propos dans ma mémoire – comme il y a toujours toute espèce de choses, les unes dangereuses, les autres salutaires, dans ce fouillis où les souvenirs ne s'éclairent qu'un à un – je découvris, comme un ouvrier l'objet qui pourra servir à ce qu'il veut faire, une parole de ma grand-mère. Elle m'avait dit à propos d'une histoire invraisemblable que la doucheuse avait racontée à Mme de Villeparisis : « C'est une femme qui doit avoir la maladie du mensonge. » Ce souvenir me fut d'un grand secours. Quelle portée pouvait avoir ce qu'avait dit la doucheuse à Aimé ? D'autant plus qu'en somme elle n'avait rien vu.
Proust 406 - Je me voyais perdu dans la vie comme sur une plage illimitée où j'étais seul et où, dans quelque sens que j'allasse, je ne la rencontrerais jamais
(Morceau choisi de l'Anthologie Marcel Proust. Chaque extrait d'A la recherche du temps perdu est précédé d'un numéro de section, de 001 à 487, indication de sa position au sein des 487 sections du texte intégral et lien pour retrouver le texte dans la continuité du roman. L'Anthologie Proust est également disponible dans l'ordre du roman.)